Virage à grande inclinaison et à basse vitesse = DANGER !
(Par Thierry COUDERC, Président de la Commission Sécurité des vols de la FFPLUM)
Faut-il rappeler qu’au cours d'un virage, si l’on veut maintenir le palier, il est nécessaire d’augmenter l’incidence et/ou la vitesse ? En outre, le facteur de charge augmente avec l’inclinaison du virage. Cette caractéristique a des conséquences sur les conditions de décrochage, puisqu’il fait augmenter le poids apparent de l’appareil.
À 45° d'inclinaison, le facteur de charge est égal à 1,4 et la vitesse de décrochage augmente de 19%.
À 60° d'inclinaison, le facteur de charge est égal à 2 et la vitesse de décrochage augmente de 40%.
Cette situation est donc propice à susciter un décrochage en virage, par défaut de vitesse.
S'y ajoute le risque de décrochage dissymétrique avec départ en vrille, auquel les appareils multi axes dont le pilote aurait le pied trop lourd à l'intérieur du virage, sont particulièrement exposés. Ce cas de figure peut quant à lui survenir même à des vitesses plus élevées, car il ressort d'une mauvaise conjugaison des commandes. Vos manuels de vol décrivent les manœuvres d'urgence à assurer pour vous sortir de ces situations délicates.
C’est ainsi cette conjugaison d’une faible vitesse et d’un virage à grande inclinaison qui installe les conditions du départ en virage engagé. Ici les conditions d'une manœuvre harmonieuse restent réunies, sauf une trajectoire involontairement descendante qui transforme progressivement le virage en chute spirale. Ses caractéristiques en sont les suivantes :
- Augmentation importante de l'inclinaison et de l'assiette à piquer,
- Augmentation rapide de la vitesse risquant d'entraîner une sortie du domaine de vol,
- Pas de sensation manifeste susceptible d’alerter le pilote d’un changement dangereux de sa trajectoire.
Contrairement à une idée assez répandue, le phénomène ne tire pas son origine d'un problème de symétrie de vol, mais du manque de vigilance à tenir l'assiette, il ne concerne donc pas uniquement les multi axes. Un rapport du BEA en évoque la possibilité à propos d'un accident de paramoteur :
https://www.bea.aero/fileadmin/documents/docspa/2012/8-fy120222/pdf/8-fy120222.pdf
Mais pourquoi le pilote peut-il avoir du mal à détecter qu’il est passé dans cette configuration ? C’est que lorsqu'elle survient, le resserrement du virage est rapide mais progressif et il s’accompagne d’une perte d’altitude assimilée à une chute. L’entrée en virage engagé ne se manifeste donc pas par des changements brutaux de trajectoire ni par des variations flagrantes de facteur de charge, seulement par une augmentation non pilotée de l'assiette à piquer.
Pour en sortir, il est impératif de reprendre sans délai le contrôle en agissant sur les causes du virage engagé de la façon suivante :
• Réduire complètement la puissance
• Annuler l'inclinaison
• Revenir à l'assiette de palier par une ressource souple
• Attendre le retour à une vitesse suffisante avant de remettre progressivement la puissance.
Il y a des circonstances favorables à la survenue de ces trois phénomènes, comme par exemple la perte de références visuelles par mauvaises conditions météo, ou la perte de puissance en virage, par exemple. Un REX récent l'évoque en relation avec la perte de référence visuelle :
http://cnfas.isimedias.com/ffplum/COMPLET/REX_Visualisation.cfm?id=7097&ty=11
Mais c’est le petit coucou au-dessus de la maison des amis, ou la recherche du meilleur point de vue du monument que l’on est en train d’approcher qui sont les plus sensibles à ce risque. Dans ces circonstances, le pilote va naturellement avoir tendance à ralentir et à s’incliner pour serrer le plus possible le site d’intérêt qu’il veut voir d’en haut.
Si toutefois vous êtes dans une situation susceptible d’aboutir à l'une de ces situations redoutées, il est indispensable de surveiller toute variation non voulue de l'assiette à piquer. En effet, c’en est habituellement la manifestation significative la plus précoce.
Il est parfaitement évident qu’à basse hauteur, vous risquez de ne pas avoir le temps de faire tout ça avant d’atteindre le sol.
Au moins deux enquêtes concernant des accidents récents d’ULM sont en cours, dont les circonstances évoquent le virage engagé à basse hauteur :
(NB) ATTENTION ! Les voilures tournantes ne sont pas concernées de la même façon. En effet, une manœuvre qui provoque l'augmentation de facteur de charge (dans les limites raisonnables du domaine de vol) est plutôt favorable à la sécurité d'un autogire. Le danger risque cependant de vous guetter en sortie de manœuvre. Sur un autogire, la fin de virage à forte inclinaison et basse vitesse crée potentiellement par la réduction brutale du facteur de charge à vitesse faible qu'elle peut susciter, les conditions d'une perte de tours rotor, particulièrement si la faible hauteur ne permet pas au pilote de rendre la main et d'accepter un enfoncement de sa trajectoire.
Pour toutes les classes d'ULM, la meilleure protection est bien sûr d’éviter de se placer dans une configuration favorable à la survenue du phénomène en assurant ses virages à inclinaison raisonnable et en conservant de bonnes marges de vitesse et de hauteur.